La réforme de la haute fonction publique

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À l’occasion de la convention managériale du 8 avril 2021, le président de la République a lancé une très importante réforme de l’encadrement supérieur de l’État, sans équivalent depuis la création de l’École nationale d’administration (ENA) en 1945. Cette réforme se traduit par des mesures concrètes en matière de gestion des ressources humaines des cadres supérieurs de l’État portant sur l’ensemble de la carrière, du recrutement à la promotion en passant par la mobilité et la formation. 

Cette réforme est mise en œuvre par l’ordonnance du 2 juin 2021 et un ensemble de textes réglementaires. Elle a par ailleurs créé de nouveaux acteurs institutionnels, dont la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) et l’Institut national du service public (INSP) qui succède à l’ENA.

À l’occasion de la convention managériale de l’État du 8 avril 2021, le président de la République a annoncé vouloir rapprocher l’action publique des citoyens, réformer la formation et diversifier le recrutement des cadres supérieurs de l’État. Cette réforme repose sur un double objectif : adapter la fonction publique aux nouveaux enjeux de l’action publique et aux attentes des hauts fonctionnaires.

Les constats sont les suivants : les recrutements doivent être plus ouverts et diversifiés, il convient de dynamiser les formations, les parcours et les carrières de l’encadrement supérieur de l’État.

En parallèle, il faut veiller à maintenir une attractivité de ces emplois pour les nouvelles générations et œuvrer à des recrutements plus méritocratiques pour que la haute fonction publique soit à l’image de la société.

Il faut enfin permettre aux cadres supérieurs de mieux anticiper et participer à relever les défis des transformations profondes du pays en matière économique, sociale, écologique et numérique.

Afin que cette réforme réponde aux attentes des hauts fonctionnaires, une consultation a été menée auprès de 7 300 cadres supérieurs de l’État. De nombreux ateliers et groupes de travail ont été mis en place. 

Les attentes vis-à-vis de l’amélioration du fonctionnement de l’administration portaient principalement sur l’amélioration de la gestion des ressources humaines, l’adaptation du fonctionnement de l’administration et le gain en vision stratégique à long terme. Les cadres préconisent d’encourager les mobilités par le renforcement de l’accompagnement professionnel et extra-professionnel, l’amélioration de la transparence des offres d’emplois, la création de parcours de carrière et une meilleure reconnaissance et valorisation des mobilités.

L’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de l’État a ensuite fixé le cadre d’une rénovation en profondeur de la formation, de l’accès aux emplois et des parcours de carrière des hauts fonctionnaires.

En particulier, cette réforme s’est traduite par une volonté de renforcer la formation continue, mettre en place un meilleur accompagnement des carrières et une valorisation des mobilités, afin que les cadres supérieurs connaissent au mieux les problématiques rencontrées au plus près des usagers. 

Ces ambitions se sont notamment traduites par la création de la DIESE, de l’INSP en remplacement de l’ENA, l’adoption de lignes directrices de gestion interministérielles (LDGI) de l’encadrement supérieur de l’État et la création du corps des administrateurs de l’État.

La réforme de l’encadrement supérieur de l’État s’articule autour de trois axes :

  • décloisonner et dynamiser les parcours de l’encadrement supérieur de l’État ;
  • refondre la formation initiale et les conditions de recrutement ;
  • amplifier le développement de l’accompagnement des cadres supérieurs.

 

Premier axe : décloisonner et dynamiser les parcours de l’encadrement supérieur de l’État

Dans le cadre de la réforme, les réflexions ont porté sur une nouvelle architecture statutaire des hauts fonctionnaires. La réforme avait notamment pour ambition de :

  • construire une identité et un espace de carrière commun à l’ensemble des cadres supérieurs exerçant des fonctions administratives ;
  • décloisonner les parcours, promouvoir l’interministérialité et développer la mobilité.

C’est dans cet objectif qu’a été créé le corps des administrateurs de l’État (AE). Les membres de ce corps exercent des missions de conception, de mise en œuvre et d’évaluation des politiques publiques. Ils sont chargés de fonctions supérieures de direction, d’encadrement, d’expertise et de contrôle.

La progression de carrière au sein de ce nouveau corps a été pensée pour valoriser les mobilités, qui sont désormais un critère pour bénéficier d’un avancement de grade. L’ambition est de permettre aux cadres supérieurs d’alterner l’exercice de fonctions variées, leur apportant des compétences différentes : exercice des missions dans les territoires et dans les services centraux, fonctions opérationnelles ou de pilotage de politiques publiques, conduite de projets ou de contrôle, d’audit ou de conseil, etc.

L’objectif est ainsi de permettre aux administrateurs de l’État de valoriser des expériences multiples tout en permettant à l’administration de capitaliser sur des savoir-faire professionnels, pour mieux répondre aux enjeux et priorités des politiques publiques.

Afin de garantir une cohérence dans les rémunérations versées et de faciliter ainsi ces mobilités, la nouvelle grille de rémunération des administrateurs de l’État s’applique aussi aux emplois fonctionnels de cadres dirigeants ou de direction. Certains, qui auparavant constituaient des corps de fonctionnaires, ont été créés à l’occasion de la réforme (préfets, ambassadeurs, recteurs, inspecteurs généraux, etc.). Cette fonctionnalisation a pour but de diversifier les recrutements (ils sont ouverts plus largement, notamment aux contractuels), d’éviter des rentes de situation (l’occupation de ces emplois est limitée dans le temps) et de garantir une adéquation des agents avec les exigences des postes en question (le recrutement est davantage professionnalisé et personnalisé). La fonctionnalisation permet enfin de garantir une ancienneté minimale avant l’occupation de ces emplois : les cadres supérieurs auront ainsi une connaissance de l’administration avant d’être amenés à la contrôler ou de la juger.

L’occupation de ces emplois supérieurs est corrélée au bénéfice « d’accélérateurs » de carrière, qui permettent d’accéder plus rapidement à des niveaux de rémunération plus élevés. Le bénéfice de ces accélérateurs reste capitalisé pour la poursuite de la carrière.

Ces principes ont vocation à être transposés aux corps d’ingénieurs recrutés à la sortie de l’École polytechnique (ingénieurs de l’armement, administrateurs de l’INSEE, ingénieurs des mines, ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts), qui sont chargés de répondre aux besoins de l’État en matière technique, scientifique et numérique. Cette transposition tiendra par ailleurs compte de leurs spécificités.

Deuxième axe : refondre la formation initiale et les conditions de recrutement

Une rénovation du recrutement et de la formation des cadres supérieurs a été mise en œuvre, afin de diversifier davantage les recrutements, de professionnaliser l’encadrement supérieur par la formation, et de développer des liens avec l’université et le monde de la recherche.

La mesure emblématique est la création de l’INSP, établissement public administratif national qui a pris la succession de l’ENA. Cette création s’accompagne d’une expérimentation de nouvelles voies d’accès dites « Talents », dans un contexte d’ouverture de la haute fonction publique et d’évolution de la formation initiale.

Si certaines des missions de l’ENA sont confirmées (comme la formation initiale des cadres supérieurs administratifs de l’État), d’autres sont plus novatrices. Par exemple, l’INSP propose désormais un « tronc commun » aux écoles de service public formant les cadres supérieurs des trois versants de la fonction publique et de la magistrature, afin de créer une culture commune à l’ensemble de ces cadres supérieurs dès leur formation initiale.

La suppression du classement de sortie marque également une évolution notable dans les conditions de recrutement : les élèves sont affectés aux postes en fonction de leurs aspirations et des besoins des administrations, dans une logique d’appariement.

Troisième axe : amplifier le développement de l’accompagnement individuel des hauts fonctionnaires et le pilotage interministériel des parcours

Pour que les objectifs de la réforme de la haute fonction publique puissent être atteints, il était indispensable de mettre en œuvre un pilotage interministériel de la gestion des cadres supérieurs et un accompagnement individualisé et renforcé de ces hauts fonctionnaires.

C’est dans cette perspective que la DIESE a été créée. Placée auprès du Premier ministre, elle est notamment chargée de :

  • définir, coordonner, harmoniser et animer la politique des ressources humaines en matière d’encadrement supérieur et dirigeant de l’État ;
  • participer à une gestion des ressources humaines individualisée de certains de ces personnels ;
  • relever les défis structurels en matière de gestion des talents, transparence, diversité et efficacité de l’encadrement supérieur.

Elle s’appuie pour cela sur un certain nombre de leviers : 

  • le réseau des délégués à l’encadrement supérieur (DES) au sein de chaque ministère : il coordonne les besoins de l’État et les compétences disponibles et facilite les mobilités dans le respect des règles déontologiques ;
  • les lignes directrices de gestion interministérielle (LDGI) : elles déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines pour l’ensemble de l’encadrement supérieur de l’État et donnent les orientations générales en matière de recrutement, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de mobilité, de promotion, d’évaluation, de formation et d’accompagnement individualisé des parcours. La DIESE préside un comité de pilotage stratégique de l’encadrement supérieur de l’État, composé des secrétaires généraux des ministères, chargé du suivi de leur mise en œuvre ;
  • le développement de bilans relatifs au parcours et à la carrière des cadres supérieurs, dont ils ont vocation à bénéficier tous les six ans, afin de les accompagner dans leur carrière. Ce dispositif croise les regards sur le cadre, ses réalisations, son parcours et ses compétences ;
  • les comités d’audition et les commissions d’aptitude : en participant à ces comités de sélection et en établissant des critères de sélection plus objectifs, la DIESE vise à rendre le processus d’accès aux emplois les plus prestigieux plus équitable et compréhensible ;
  • le dialogue avec les organisations syndicales grâce à la création d’une formation spécialisée compétente en matière d’encadrement supérieur au sein du conseil supérieur de la fonction publique de l’État (CSFPE) ;
  • le référentiel des compétences managériales, qui promeut un nouveau modèle de leadership axé sur des compétences ;
  • les programmes de développement des Talents (Cycle des hautes études de service public – CHESP –, Cycle supérieur de développement managérial – CYSDEM –, programme Talentueuses) destinés aux cadres qui visent l’accès aux plus hautes fonctions avec un impératif de diversité et de représentativité sociale ;
  • le pilotage de la formation continue des cadres supérieurs sur l’ensemble des aspects, comme la transition écologique.

Mise en œuvre du premier axe de la réforme

Le corps unique des administrateurs de l’État a été créé. Il compte aujourd’hui plus de 5 000 hauts fonctionnaires. Il remplace quinze corps qui lui préexistaient. Hormis les administrateurs civils qui ont tous été directement intégrés dans le corps des administrateurs de l’État, les membres des quinze corps placés en extinction ont pu exercer au cours de l’année 2023 leur droit d’option : rester dans leur corps d’origine ou rejoindre le nouveau corps des administrateurs de l’État. Au 31 décembre 2023, 2 378 agents ont ainsi choisi de rejoindre le corps des administrateurs de l’État, ce qui représente plus de 79 % des agents concernés. Depuis le 1er janvier 2024, tous les recrutements sont effectués directement dans ce corps.

Les rémunérations ont été retravaillées et harmonisées dans leurs composantes indiciaire et indemnitaire afin de rendre les métiers plus attractifs et de favoriser les parcours diversifiés entre administrations ou entre administration et secteur privé en limitant les écarts qui préexistaient. 

L’ensemble des administrateurs de l’État et des emplois supérieurs relèvent désormais d’un régime indemnitaire composé d’une part principale liée à l’exercice des fonctions (modulable en fonction de l’expérience acquise, de la prise de responsabilités ou de la mobilité) et d’une part individuelle, qui varie en fonction du niveau d’atteinte des objectifs collectifs et individuels fixés annuellement. 

Des comités des rémunérations ont été instaurés afin de veiller à ce que l’harmonisation des rémunérations perdure dans le temps.

Les grands principes fixés par le premier axe de la réforme ont également été déclinés aux corps des juridictions administratives et financières, en tenant compte de leurs spécificités.

Mise en œuvre du deuxième axe de la réforme

Des réflexions relatives aux voies d’accès à l’encadrement supérieur ont été conduites, dans le but de promouvoir une haute fonction publique plus à l’image des citoyens. C’est dans ce contexte que les expérimentations de recrutement par la voie de concours « Talents » ont été créées dans certaines écoles formant les hauts fonctionnaires, à l’INSP notamment.

Ces concours seront prochainement mis en œuvre dans les corps d’ingénieurs recrutant à la sortie de l’École olytechnique. Les parcours Talents, préparant aux concours d’accès à ces corps ont pour leur part déjà été créés.

Le classement à la sortie de l’INSP est désormais remplacé par une procédure d’appariement. Elle permet de favoriser l’adéquation entre les compétences des cadres supérieurs et les besoins de l’administration, tout en tenant compte des vœux des élèves.

Mise en œuvre du troisième axe de la réforme

En plus de la création de la DIESE, le réseau des délégués à l’encadrement supérieur (DES) au sein de chaque ministère a été institué. Il est de mieux en mieux identifié et accompagne chaque jour des hauts fonctionnaires dans leurs recherches de mobilité, comme dans le suivi de leurs parcours professionnels.

Les lignes directrices de gestion interministérielle (LDGI) ont été publiées et ont fait l’objet de bilans qui sont accessibles. Elles ont été enrichies d’une annexe relative aux avancements de grade dans le corps des administrateurs de l’État. Le comité de pilotage stratégique de l’encadrement supérieur s’est réuni à plusieurs reprises et travaille à l’adéquation des LDGI avec les besoins des hauts fonctionnaires et de l’administration.

Les dispositifs de bilans Parcours & Carrière ont commencé leurs premières évaluations dans l’ensemble des ministères, y compris pour les cadres dirigeants.

La procédure relative aux comités d’audition a été actualisée et ils ont été systématisés. La DIESE siège désormais aux commissions d’aptitude relatives aux emplois d’ambassadeurs, de préfets et de recteurs. Les procédures collégiales de recrutement seront prochainement étendues à certains établissements publics.

Le référentiel des compétences managériales a été déployé et fait l’objet d’un outil d’auto-diagnostic.

Les programmes de développement des Talents se poursuivent et s’adaptent aux besoins des cadres concernés. Le CYSDEM a été mis en œuvre pour la première fois dans sa nouvelle version.

La formation à la transition écologique a été déployée à l’ensemble des cadres supérieurs et dirigeants. Plus de 13 500 personnes ont participé aux deux premiers ateliers de cette formation.